"Mon père, le photographe Marc Garanger a déposé cette nuit [du 28 avril 2020] son appareil photographique à tout jamais", c’est en ces termes que nous avons appris la disparition du photographe, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, par un tweet de son fils Martin Garanger.
Né en 1935, soldat en Algérie de mars 1960 à février 1962, nommé photographe du bataillon auquel il a été affecté, Marc Garanger a pris quelque 20 000 images. A la demande du journal Le Monde, le photographe y est retourné à la recherche de ceux qui sont passés devant son objectif 44 ans auparavant. Marc Garanger commentait lui-même ses photographies ("France, Algérie : mémoires en marche", Le Monde, 20 mars 2005). Un portfolio est visible sur le site du journal.
"En 1960, rappelle le photographe, je faisais mon service en Algérie. L’armée française avait décidé que les autochtones devaient avoir une carte d’identité française pour mieux contrôler leurs déplacements dans les "villages de regroupement". Comme il n’y avait pas de photographe civil, on me demanda de photographier tous les gens des villages avoisinants : Ain Terzine, Le Merdoud, le Maghine, Souk el Khrémis...
Pour cadrer ses portraits, Marc Garanger dit s’être souvenu des photos d’Edward Curtis avec les populations amérindiennes au début du XXe siècle. Muni de son Leïca, le photographe aux armées a donc pris ses portraits en buste, avant de les recadrer sous format d’identité pour ses supérieurs. "C’est le visage des femmes qui m’a beaucoup impressionné. Elles n’avaient pas le choix. Elles étaient dans l’obligation de se dévoiler et de se laisser photographier [...] J’ai reçu leur regard à bout portant, premier témoin de leur protestation muette, violente. Je veux leur rendre hommage."
"Ce qu’il y a de presque plus terrible que ces photos de guerre, estimait Philippe Lefait lors d’une émission consacrée à la torture durant la guerre d’Algérie, c’est cet album avec ces femmes d’Algérie [de Marc Garanger] et ce qu’il y a de terrible c’est qu’on a l’impression d’un viol. Enfin quand on regarde ces photos dans le regard de ces femmes, c’est cela dont il s’agit... ("Les Mots de minuit", 13/12/2000 sur France 2). Le photographe a alors tenu à préciser, "c’est l’acte, c’est la décision militaire qui est un viol. C’est un viol sur tous les plans, c’est un viol militaire, policier, culturel, religieux, et c’était la fin de la guerre."
Ces photographies de femmes algériennes de Marc Garanger ont inspiré Les femmes déviolées une série de sculptures du plasticien belge Olivier Blanckart entamée en 2004 à base de scotch, papier kraft et carton. Sans se placer sur le terrain du procès d’intention à l’endroit du photographe, Olivier Blanckart réinterroge la nature de ces images et s’interroge sur leur carrière (livres, tirages, expositions, ventes) et leur changement de statut qui les fait passer de photographies prises sans consentement dans un but de fichage et de contrôle militaire d’une population à des icônes photo-artistiques. De ces photos dont il rappelle au passage qu’elles "n’ont été données ni aux autorités françaises, ni aux autorités algériennes", "c’est le devenir œuvre, le devenir icône, de ces œuvres que je remets en cause. C’est un problème éthique", dit-il dans un entretien accordé en marge de son exposition au Musée des Beaux-Arts de Dole (8 oct. 2011 - 29 jan. 2012).
En 2011 à Paris puis à Rome, l’exposition L’Ombre de la guerre proposait "une réflexion sur le pouvoir symbolique des images" à travers un choix de "90 photographies les plus marquantes du reportage de guerre". Parmi ces clichés devenus célèbres, entre ceux de Robert Capa (Espagne), Nick Ut, Eddie Adams et Don McCullin (Vietnam), James Nachtwey (Nicaragua), Georges Merillon (Kosovo), Gilles Peress (Bosnie), Paolo Pellegrin (Liban), Jean-Marc Bouju (Irak) et Christine Spengler (Sahara occidental), figuraient une photographie de Philip Jones-Griffith (Algérie, 1962) et l’un des portraits de femmes de Marc Garanger.
Depuis son invention, la photographie est restée au centre de nombreux débats, controverses et aussi de procès retentissants. Présentée à Lausanne, Paris, Bruxelles, Florence et Prague, l’exposition "Controverses" (2009-2011) proposait un choix de 80 photographies, de 1839 à nos jours, qui ont fait l’objet de polémiques ou de procédures judiciaires et interrogent notre regard. Parmi elles, beaucoup sont connues, voire ont accédé au rang d’icône, parce qu’elles ont fait et continuent à faire débat. Il y a là le républicain espagnol fauché par une balle de Robert Capa ou le "Baiser de l’Hôtel de ville" de Robert Doisneau. Si la seconde s’est avérée être une mise en scène, la première fait aujourd’hui débat. Il y a aussi les photographies de femmes algériennes de Marc Garanger, celle du prétendu charnier de Timisoara en Roumanie du reporter américain Robert Maass, le baiser de la nonne d’Olivero Toscani pour Benetton qui sera interdite d’affichage en 1992, celle de la petite mourante que guette un vautour, un cliché réalisé au Soudan par le Sud-Africain Kevin Carter, qui a valu à son auteur de nombreuses critiques, le prix Pulitzer 94 et qui est à l’origine du suicide du photographe, une main déchiquetée après les attentats du World Trade Center et enfin celle des prisonniers irakiens humiliés ou torturés par des soldats américains dans la prison d’Abou Ghraib en 2004.
Invité du New York Photo Festival (mai 2010), Marc Garanger s’est vu décerner le prix du Festival pour l’ensemble de son œuvre. Il a auparavant été récompensé du prix Niépce en France (1966)
Avec sa série "Princesses", dix portraits peints d’après les célèbres photos de femmes algériennes de Marc Garanger, l’artiste Dalila Dalléas-Bouzar dit avoir voulu montrer "la dignité de ces femmes, et montrer que malgré l’humiliation subie, elles avaient pu conserver leur intégrité". Ce travail était visible à la 12e Biennale Dak’Art 2016".
Agnès Varda > "Une minute pour une image" : Femme Algérienne de Marc Garanger
– 18 mars - 23 avril 2022, Marc et Martin Garanger, d’une Algérie à l’autre. Une mémoire en héritage, Paris / Centre culturel algérien – 15 juin - 29 septembre 2019, Voilé.e.s / dévoilé.e.s, Bourg-en-Bresse / Monastère de Brou – 28 février - 13 juillet 2019, Photographier l’Algérie, Tourcoing / Ima
- 11 octobre 2018, "Vivre avec son œil", un portrait du photographe Marc Garanger, de Naïs Van Laer, Blois / Maison de Bégon / 21e Rendez-vous de l’Histoire - "La Puissance des images"
– 30 novembre 2017 - 21 janvier 2018, Marc Garanger : portraits de femmes algériennes, Lunéville / Galerie Le Cri des Lumières, Place de la deuxième division de cavalerie, 54302 Lunéville, exposition en partenariat avec la Bibliothèque municipale de Lyon
– 2 septembre - 21 octobre 2017, Château de Nogent-le-Roi, 28210 Nogent-le-Roi
– 23 June 2016 – 8 January 2017, "Public, Private, Secret", New York / ICP Museum – 31 octobre 2015 - 29 mai 2016, "Honte", Gand / Musée Dr. Guislain – 4 juillet 2015 - 3 janvier 2016, Oser la photographie. 50 ans d’une collection d’avant-garde, Arles / Musée Réattu – 28 Febbraio - 31 Maggio 2015, "Questa è guerra ! 100 anni di conflitti messi a fuoco dalla fotografia", Padova / Palazzo del Monte di Pietà
– 6 mai 2014 - 18 octobre 2015, "Tatoueurs, tatoués", Paris / Musée du quai Branly
– 5 décembre 2012 - 5 janvier 2013, Marc Garanger : "Femmes Algériennes 1960" et "Retour en Algérie", Paris / Centre culturel algérien – 22 septembre - 23 novembre 2012, "Femmes algériennes", photographies de Marc Garanger, Dunkerque / MJC de Rosendaël, Rue de Belfort, 59240 Dunkerque, Tel. : 03 28 63 99 91
– 26 juin - 18 août 2012, "Auteurs en photographie", Albi / Médiathèque Pierre-Amalric
– 23 mai - 9 juin 2012, "Femmes Algériennes 1960", photographies de Marc Garanger, Bibliothèque municipale de Lyon / Bibliothèque du 1er, 7, rue Saint-Polycarpe, 69001 Lyon, Tel. : 04 78 27 45 55
– 13 April 2012, "Algeria Revisited : Contested Identities in the Colonial and Postcolonial Periods" : Ian Mossman (Cardiff University), "Renegotiating Colonial Identities in the Postcolonial Era : Marc Garanger’s Retour en Algérie", University of Leicester
– 8 mars - 7 avril 2012, "Marc Garanger : Photo résistant", Paris / Galerie Binôme
> 20 mars : Rencontre et signature avec Marc Garanger
– 14 dicembre 2011 - 5 febbraio 2012, "Ombre di guerra" (L’Ombre de la guerre/Shadows of War/ظلال الحرب), Roma / Museo dell’Ara Pacis – 19 January 2012, "Marc Garanger’s Retour en Algérie : Renegotiating Colonial Identities in the Post-colonial Era", Speaker : Iain Mossman (PGR), Cardiff School of European Studies / Languages, Cultures & Ideologies research unit
– 10 novembre - 11 décembre 2011, "Photos. Divers états de la photographie contemporaine", La Clayette / Collège les Bruyères, 2, rue de la planchette 71800 La Clayette
– September 8 - November 13, 2011, "Controversies : A Legal and Ethical History of Photography", Praha / Galerie Rudolfinum – 29 juin - 25 septembre 2011, "L’ombre de la guerre" (Shadows of War/ظلال الحرب), Paris / Maison Européenne de la Photographie (MEP)
– May 21 - September 11, 2011, "Exposed : Voyeurism, Surveillance and the Camera Since 1870", Minneapolis / Walker Art Center – 11 marzo 2011 - 5 giugno 2011, "Controverses. Una storia giuridica ed etica della fotografia", Firenze / Museo Nazionale Alinari della Fotografia – 18 mars 2011, Projections de Sabine Weiss, Marc Garanger, Jacques Langevin, Christel Jeanne, Pomerol / Château Gazin / 2e Printemps photographiques 2011
– October 30, 2010 - April 17, 2011, "Exposed : Voyeurism, Surveillance and the Camera Since 1870", San Francisco Museum of Modern Art – 6 octobre 2010 - 16 janvier 2011, "Brune/Blonde à la Cinémathèque française"
> Voir Marc Garanger > Femmes algériennes – July 22 - October 9, 2010, "Bodies In Question", a photography exhibition curated by Fred Ritchin, New York University / Gulf + Western Gallery (rear lobby) and the 8th Floor Gallery
– May 28 - October 3, 2010, "Exposed : Voyeurism, Surveillance and the Camera Since 1870", London / Tate Modern – May 12 - 16, 2010, New York Photo Festival
> May 16th, "Bodies in Question" : Marc Garanger – 4 - 27 mai 2010 "Femmes algériennes 1960", Photographies de Marc Garanger, Saint-Ouen / Médiathèque Persépolis, 4, avenue Gabriel-Péri, 93400 Saint-Ouen
– 31 mars 2010, Journée d’études "Les Orientaux face aux « orientalismes » : dialogue avec Edward Saïd", "Ethnographie ou orientalisme ? : Les « portraits » photographiques de Marc Garanger dans « La photo d’identité » de Leila Sebbar" par Andrew Stafford, professeur de littérature française et francophone (Université de Leeds), Amiens / Université de Picardie Jules Verne
– 24 septembre - 22 novembre 2009, Exposition prolongée jusqu’au 3 janvier 2010, "Controverses. Une histoire éthique et juridique de la photographie", Bruxelles / Le Botanique – 9 juillet - 26 août 2009, Marc Garanger : "Retour en Algérie", Rencontres photographiques de Saint Geniez d’Olt / La Chapelle des Pénitents noirs / Auditorium, Place du cours, 12130 St Geniez d’Olt
> Exposition organisée par l’association M’Arts Mots Culture – May 19 - October 18, 2009, "Walls of Algiers : Narratives of the City" (Murs d’Alger, histoires de la ville), Los Angeles / Getty Center – 14 - 15 mai 2009, "Femmes Algériennes dans les années 1960" | 16 - 17 mai, "Retour en Algérie", Photographies de Marc Garanger, Paris / L’Algérie à la Goutte d’Or / Café Social Dejean
– 3 avril - 7 mai 2009, "Marc Garanger, retour en Algérie", Lyon / La Maison des Passages, 44, rue St Georges, 69005 Lyon, Tel. : 04 78 42 19 04
– 3 mars - 24 mai 2009, Prolongation jusqu’au 30 mai, "Controverses. Photographies à histoires", une exposition du Musée de l’Elysée (Lausanne), Paris / Bibliothèque nationale de France / Site Richelieu / Galerie de photographie
– 27 mai 2008 - 22 février 2009, "Ideqqi, art de femmes berbères", Québec / Musée de la Civilisation
– 5 avril - 1er juin 2008, "Controverses. Une histoire éthique et juridique de la photographie", Lausanne / Musée de l’Elysée
> 5 avril à 15h, Table ronde avec Marc Garanger, Garry Gross, Jock Sturges, Alberto Sorbelli, Nissan N. Perez
– 3 mars - 25 avril 2008, "Femmes algériennes, 1960", 40 photographies en noir et blanc de Marc Garanger, Université de Brest / Faculté Victor Segalen / Centre de Ressources, Renseignements, Service culturel : 02 98 01 63 67
– 19 juin - 16 septembre 2007, "Ideqqi, art de femmes berbères", Paris / Musée du Quai Branly, 37, quai Branly, portail Debilly, Paris 7è, Tel. : 01 56 61 70 00
– 28 septembre 2006, Conférence donnée par les Gens d’Images, Marc Garanger, photographe | Présentation de Jean-Pierre Evrard, Maison Européenne de la Photographie, 5-7 rue de Fourcy, Paris 4è
– 21 juin 2006, "Témoignages de soldats et droits de l’homme pendant la guerre d’Algérie", Marc Garanger, Raphaëlle Branche, Patrice Bouveret (CDRPC), Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP), 19, allée de Fontenay, Lyon Gerland
– 25 February - 25 April 2006, "Nazar", Derby / Q Arts Gallery (U-K)
– 8 September - 3 November 2005, "Arab Eyes" and "A Look Back ", New York / The Aperture Foundation – April 23 - June 25, 2005, "Western Eyes", FotoFest and The Station at The ArtCar Museum, Houston, Texas
– April 8 - June 11, 2005, "Arab Eyes" and "A Look Back" FotoFest at Vine Street Studios, Houston, Texas
– 11 January - 27 February 2005, "Algerian Women" by Marc Garanger, Photographic centre Nykyaika, Kehräsaari, 33210 Tampere (Finland)
– 22 November 2003 - 25 January 2004, "Veil", Modern Art Oxford – 5 July - 16 August 2003, "Veil", Liverpool / Open Eye Gallery, Photographic and Media Arts, 28 - 32 Wood Street, L1 4AQ Liverpool (U-K), Tel. : +44 (0)151.7099460
– 5 July - 16 August 2003, "Veil", Liverpool / Bluecoat Arts Centre – 3 - 6 June 2003, "Made in Paris, London / Institute of International Visual Arts (inIVA)
– 14 February - 27 April 2003, "Veil", Walsall / The New Art Gallery (U-K)
–Marc Garanger. Retour en Algérie
Photographies de Marc Garanger
Textes de Sylvain Cypel
(Biarritz, Atlantica, 2007)
Femmes Algériennes 1960 (Algerian Women, 1960)
Photographies de Marc Garanger
(Rééd., Biarritz, Atlantica, 2002, 2012)
–Femmes des Hauts-Plateaux, Algérie 1960
de Marc Garanger
Texte de Leila Sebbar
(Paris, La Boîte à documents, 1990)
Voir :
–Vivre avec son œil de Naïs Van Laer (doc., 54’, Fr, 2016)
–Images du monde et Inscription de la guerre (Bilder der Welt und Inschrift des Krieges/Images of the World and the Inscription of War/Imágenes del mundo y epitafios de guerra) et En sursis
de Harun Farocki
(Doc., 75 et 40 min., All, 1988 et 2007 // 4:3 et 16:9)
Aucune
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