51 ans après le massacre du 17 octobre 1961 à Paris, dans un communiqué de la présidence de la République, François Hollande a déclaré que "des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes".
Ce jour-là, à l’appel de la Fédération de France du FLN, entre 20 et 30.000 Algériens de Paris et de sa région manifestaient en faveur de l’indépendance de l’Algérie et contre le couvre-feu auquel ils étaient soumis. Durant cette tragique soirée, la manifestation est sauvagement réprimée et des dizaines d’Algériens, -plus de 200 selon certaines sources-, sont assassinés à Paris et en banlieue par la police sous les ordres du préfet Maurice Papon. Plus de 11.000 Algériens seront en outre arrêtés, internés dans des centres de détention durant plusieurs jours et, pour certains, expulsés.
Le bilan officiel dressé au moment des faits par le préfet Maurice Papon était de trois morts "causés par des policiers en état de légitime défense" rappelait il y a peu l’historien Jean-Luc Einaudi, auteur de "La Bataille de Paris" (1991). On lui doit d’avoir (re)mis sur la place publique ces événements d’octobre 61, occultés jusque là par la manifestation du 8 février 1962 pour la paix en Algérie qui fut réprimée dans le sang.
C’est la première fois que ce massacre est reconnu comme tel par un chef de l’État français. Le 17 octobre 2011, au pont de Clichy à Asnières, François Hollande alors candidat à l’élection présidentielle avait témoigné de sa solidarité en participant à une cérémonie à la mémoire des victimes. Lors de la campagne présidentielle, il s’était engagé à reconnaître officiellement ces massacres. Le 25 septembre dernier, à l’occasion de la journée nationale d’hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives, il déclarait encore, "il importe que la vérité soit dite, que les leçons en soient retenues et que les conclusions en soient tirées. [...]. La France se grandit toujours lorsqu’elle reconnait ses fautes". C’est chose faite pour les journées tragiques du 17 octobre 1961 avec ce court communiqué qui rompt avec un silence officiel de 51 ans sur ces événements et pourrait ouvrir la porte à la reconnaissance d’autres "dépassements" de la période coloniale.
Pour l’historien Benjamin Stora, "sur le 17 octobre 1961, on était jusque-là dans la connaissance. Désormais, on est passé à la reconnaissance. Mais on n’est pas pour autant dans la repentance." "Il était temps et c’est un progrès important, un président de la République reconnaît ce qui s’est passé le 17 octobre 1961", fait observer quant à elle l’historienne Raphaëlle Branche dans un propos également rapporté par Le Monde. "Mais il ne dit pas qui a commis la "sanglante répression", en l’occurrence la police parisienne, qui a agi sous les ordres du préfet de police, Maurice Papon, lui-même sous l’autorité du gouvernement du général de Gaulle".
En attendant, le président français doit se rendre début décembre en Algérie pour sceller de nouveaux rapports entre les deux pays. A Alger, le Premier ministre Abdelmalek Sellal a salué "les bonnes intentions" manifestées par la France pour tourner la page de cet événement sanglant. Cité par l’agence de presse algérienne APS, il considère que la visite attendue du président François Hollande constituerait un gage de la volonté de tourner cette page de l’histoire sans toutefois signifier, a-t-il insisté, l’oubli.
Plus tôt dans la journée, lors d’une cérémonie de recueillement au pont Saint-Michel à la mémoire des victimes de ces massacres, le maire PS de Paris, Bertrand Delanoë, s’était dit confiant quant à la reconnaissance par l’État de sa responsabilité dans ce "moment d’histoire tragique". "J’attends du gouvernement français, du président de la République - et j’attends avec confiance - des prises de position sur le 17 octobre 1961 qui soient très claires", a-t-il ajouté.
Le Sénat a pour sa part prévu d’étudier, le 23 octobre en séance publique, une proposition de résolution du groupe communiste, déposée par Nicole Borvo Cohen-Seat (ancienne sénatrice de Paris), en vue de reconnaître "la réalité des violences et meurtres commis à l’encontre de ressortissants algériens à Paris et dans ses environs lors de la manifestation du 17 octobre 1961". À l’Assemblée nationale, François Asensi (Front de gauche) a annoncé que son groupe déposait lui aussi une proposition analogue à celles des sénateurs communistes.
A droite, le président du groupe UMP de l’Assemblée nationale, Christian Jacob, a réagi aux déclarations de François Hollande en estimant dans un communiqué que, "s’il n’est pas question de nier les événements du 17 octobre 1961 et d’oublier les victimes, il est intolérable de mettre en cause la police républicaine et, avec elle, la République tout entière".
– 20 octobre 2012, "17 octobre 61" avec Leïla Sebbar, Paris / Institut des Cultures d’Islam
– 18 octobre 2012, "17 octobre 61" avec Linda Amiri, Emmanuel Blanchard et Mohand Zeggagh (ancien prisonnier FLN en France), Paris / Centre Culturel Algérien
– "Guerre d’Algérie et crimes d’Etat : le temps du reniement ?", par Olivier Le Cour Grandmaison, Blogs Médiapart, 16 octobre 2012