Invité de la rédaction de "Médiapart" le 5 mai 2017, Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, avait affirmé au sujet de la reconnaissance des massacres de l’Est algérien, le 8 Mai 1945, que s’il était élu il prendrait "des actes forts" et porterait "des discours forts sur cette période de notre histoire". La séquence du live de cette rencontre, à ce sujet, est visible ici (à partir de 19’14)
Ce jour du 8 mai 1945, en marge des cérémonies officielles pour célébrer l’armistice fraîchement signée en France, les militants du Parti du peuple algérien (PPA, dissout en 1939) manifestent à Sétif pour réclamer la libération de Messali Hadj, alors en résidence surveillée, et pour fêter la victoire contre l’Allemagne nazie, d’autant que de nombreux Algériens ont payé de leur vie la libération de la France. Arrivés au centre ville, alors qu’un manifestant déploie un drapeau algérien, les forces de police interviennent pour arracher l’emblème. Un coup de feu part et le porteur de drapeau abattu. Il s’appelait Bouzid Saâl. Ce sera la première victime. Cet incident sera à l’origine de la confusion, puis de l’émeute.
Les manifestants qui refluent vont se retourner contre les colons faisant 103 morts et de nombreux blessés. Très vite, le couvre-feu est instauré et l’état de siège décrété. La loi martiale est proclamée et toute autorité est donnée à l’armée pour rétablir l’ordre et elle va utiliser les grands moyens : 40 000 hommes dans le périmètre de Bougie, Sétif, Bône (auj. Annaba) et Souk Ahras avec l’aide de la marine qui tire à partir de la côte, de l’aviation qui bombarde et mitraille les mechtas et de groupes d’autodéfense de colons armés. Tous vont s’illustrer dans une répression disproportionnée lors de massacres, d’exécutions sommaires et d’humiliations qui vont durer jusqu’au 11 mai, mais ne prendront véritablement fin que le 22 avec la reddition officielle des tribus.
Pourtant, ces massacres qui firent entre 10 000 et 45 000 morts, selon les sources, passeront pratiquement inaperçus en France au moment où, faut-il le rappeler, le pays libéré en liesse préfère tourner la page de juin 1940 et de Vichy. Mais en Algérie, ces journées de mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata vont durablement installer la peur entre les communautés et la violence va devenir l’élément déterminant de la confrontation.
Pour l’historien Mohamed Harbi, "La guerre d’Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945" (mai 2005).
Premier responsable gouvernemental français à participer à la commémoration en Algérie du massacre de milliers d’Algériens, le 8 mai 1945, durant la colonisation française, Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’État français chargé des Anciens combattants, s’est rendu le 19 avril 2015 à Sétif où il a rendu un hommage aux victimes algériennes et déposé une gerbe de fleurs devant le mausolée de la première victime de la répression, Bouzid Saal. Aucun discours officiel n’a accompagné la cérémonie de Sétif. Le secrétaire d’État français a pris soin d’inscrire ce déplacement dans le cadre plus large d’un "voyage mémoriel". Après Sétif, M. Todeschini s’est également rendu à Mers-el-Kébir (à l’ouest d’Oran), l’ancienne base navale française où 1300 marins avaient été tués par la flotte anglaise le 3 juillet 1940, et enfin à Alger.
A la veille de cette commémoration, le Conseil de Paris a adopté un vœu demandant que l’État reconnaisse les massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie, a annoncé le 14 avril à l’AFP son initiatrice, la Conseillère de Paris (Parti de gauche) Danielle Simonnet. Le vœu, adopté la veille à l’unanimité, demandait que la ville "sollicite le secrétaire d’État aux Anciens Combattants et à la mémoire, et le président de la République, pour la reconnaissance par l’État des massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, et l’ouverture de toutes les archives relatives à ces terribles événements".
A propos de ces journées de mai 1945 qui comptent parmi les pages les plus noires de la colonisation française, qui virent l’État français réprimer dans le sang des manifestations nationalistes, le nombre de victimes fait encore débat soixante-dix ans après les faits. "Le gouvernement algérien avance le nombre de 45.000 morts, peut-on lire dans le vœu, et les travaux de la très grande majorité des historiens français attestent d’un bilan de dizaines de milliers de victimes arrêtées, torturées et exécutées sommairement".
Lors de son voyage de décembre 2012 à Alger, le président François Hollande avait pour sa part déclaré : "Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata. "
Intervenant le 27 février 2005 devant quelque 400 étudiants et professeurs de l’université Ferhat Abbas de Sétif, puis le 14 mars sur les ondes d’Europe 1, l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, en a surpris plus d’un en déclarant : "Je me dois d’évoquer une tragédie qui a particulièrement endeuillé votre région. Je veux parler des massacres du 8 mai 1945, il y aura bientôt soixante ans : une tragédie inexcusable".
En Algérie où l’initiative a été applaudie, on a vu dans cette qualification des événements une reconnaissance de la dimension dramatique de ces journées et un premier signal fort de la France à la veille de la signature d’un traité d’amitié entre les deux pays. "Je suis convaincu, devait ajouter l’ambassadeur, qu’il fallait lever un tabou du côté français. Depuis 1945, nous avons collectivement et délibérément occulté ce qui s’était passé à ce moment-là".
En marge des commémorations, Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris, a pour sa part rappelé sur les ondes de Radio J que c’était aussi "l’anniversaire d’une autre barbarie, celle de Sétif", avant de souhaiter que la France regarde "vraiment en face la vérité. [...] Les sociétés du XXe siècle qui ont d’autres maux à gérer [...] doivent avoir le courage de la vérité, a-t-il déclaré avant d’ajouter : On s’honore en disant la vérité, parfois en demandant pardon."
En 2005, alors que des épisodes de ce passé colonial refont surface, plusieurs manifestations étaient prévues en France, dont un colloque à l’initiative de la Ligue des Droits de l’Homme qui s’interrogeait sur "le rôle négatif dans la société française d’aujourd’hui de la persistance de ce passé refoulé et des représentations qu’il a modelées". Pour ses organisateurs, "l’objectif de ce colloque est de se demander en quoi la permanence des mentalités et des comportements sociaux forgés tout au long de l’épisode colonial sont une cause des phénomènes discriminatoires et de certaines inégalités de fait de la société française actuelle."
L’écrivain Kateb Yacine raconte le 8 mai 1945 (à partir de 24’) dans Déjà le sang de mai ensemençait novembre de René Vautier (34’, 1982)
– 9 mai 2023, film débat : Les massacres de mai-juin 1945 en Algérie, dire la vérité, projection de Les Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945 de Mehdi Lallaloui et Bernard Langlois (1995), en présence du réalisateur Mehdi Lallaoui, de Kamel Beniaiche, auteur de Massacres de mai 1945 en Algérie. La vérité mystifiée (2023), témoignage filmé de Ouarda-Ouanassa Siari-Tengour, historienne, débat animé par Gilles Manceron, historien, et Monique Dental, animatrice du Réseau féministe Ruptures, Paris / Le Maltais Rouge, 40, rue de Malte, Paris 11e, Inscription : contact@institut-tribune-socialiste.fr, participation au débat à partir de 19 h 30 en visioconférence : https://us02web.zoom.us/j/82325154213 – 11 mai 2022, "L’Autre 8 mai 1945. Des massacres orphelins", rencontre-débat avec la participation d’Olivier Le Cour Grandmaison (politologue, écrivain), M’hamed Kaki (Président de l’association Les Oranges), diffusion d’enregistrements vidéos des communications de Mohamed El Korso (Chercheur historien, ancien président de la Fédération du 8 Mai 1945), Amar Belkhodja (Ecrivain, journaliste, membre fondateur de la Fondation Émir Abdelkader), Paris / Centre culturel algérien – 8 mai 2018 à 18 h, Rassemblement l’Autre 8 Mai 1945, pour la reconnaissance par le Président de la République du crime d’Etat en Algérie (Sétif, Guelma, Kherrata), Paris / Place du Chatelet
– 8 mai 2017 à 17 h, Rassemblement L’Autre 8 mai 1945, Pour la reconnaissance par le président de la République du crime d’État en Algérie (Sétif, Guelma, Kherrata), Paris / Parvis de l’Hôtel de ville
– 7 mai 2017, Colloque international : "les crimes du 8 mai 1945 dans les littératures algérienne et étrangères, Guelma / Université 8-Mai 1945
– 2 mai 2017, de 19 h à 23 h, "L’Autre 8 mai 1945 et sa reconnaissance par la France", Paris / Salle Jean-Dame, 17, rue Léopold Bellan, Paris 2e
– 7 mai 2016, conférence-débat avec l’historien Alain Ruscio sur le 8 mai 1945 en Algérie, Choisy-le-Roi / Médiathèque Aragon, 17, rue Pierre Mendès-France, Tél. : 01 75 37 60 70, entrée libre et gratuite, par l’Association d’amitié franco-algérienne de Choisy : acafa94@hotmail.fr
– 6 mai 2016, "L’autre 8 mai 1945 - Setif, Guelma, Kherata : Histoire d’un crime d’état colonial : La reconnaissance, c’est pour quand ?", Danielle Simmonet, Conseillère de Paris, Coordinatrice Parti de Gauche, M’hamed Kaki, fondateur de l’Association Les Oranges, Olivier Le Cour Grandmaison, historien, Mariem Hamidat, réalisatrice, ccénariste, modérateur : Aissa Terchi, président de l’Association Les Oranges, Paris / Centre culturel algérien – 28 octobre - 5 novembre 2015, 20e Salon international du livre d’Alger / Pins maritimes
– 7 mai 2005 à L’EHESS, "Il y a soixante ans : l’autre 8 mai 1945 - Le trou de mémoire colonial et la société française aujourd’hui", Colloque organisé par la Ligue des droits de l’homme à l’Ehess, 105 boulevard Raspail, Paris 6e
– 7 mai, Centre culturel algérien, Maïssa Bey, Rachid Boudjedra et Waciny Laredj évoquent les journées de mai 45, lecture de textes par Sid Ahmed Agoumi.
– 7 mai, 17h - 18h sur France Culture, "La mémoire post-coloniale entre réalité et fiction", émission "Bouge dans ta tête" de Benjamin Stora en compagnie de Dominique Vidal, (journaliste et historien) et Karim Bourtel (journaliste indépendant) pour leur livre Le mal-être arabe. Enfants de la colonisation, Abdellali Hajjat, réalisateur du film Mémoire en marche. Histoire d’un mouvement avorté et son livre Immigration post-coloniale et mémoire, et Daniel Lefeuvre (historien à Paris VIII-Saint Denis) pour Chère Algérie, 1930-1962 – 6 mai à 19h30, Forum des Images, Projection - débat du film Les massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945 de Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois, Débat avec les historiens Gilles Manceron, Benjamin Stora, Claude Liauzu, Sylvie Thénault, Jean-Pierre Peyroulou
Lire :
> Les Massacres de mai 1945 en Algérie. La Vérité mystifiée de Kamel Beniaiche, préfaces de Hosni Kitouni et Fayçal Metaoui (Alger, El Watan Elyoum, 2023)
–La Fosse commune. Massacres du 8 mai 1945 de Kamel Beniaiche (Alger, El Ilbriz, 2016)
–Le Boucher de Guelma (roman) de Francis Zamponi (Paris, Gallimard, 2011)
–Coloniser, exterminer, Sur la guerre et l’État colonial d’Olivier Le Cour Grandmaison (Paris, Fayard, 2005)
–Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945 : de Mers El-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois d’Annie Rey-Goldzeiguer (Paris, La Découverte, 2001)
–Massacres coloniaux d’Yves Benot (Paris, La Découverte, 2001)
–Chronique d’un massacre : 8 mai 1945, Sétif-Guelma-Kherrata de Boucif Mekhaled (Paris, Syros, 1995)
–L’Algérie sous le régime de Vichy de Jacques Cantier (Paris, Odile Jacob, 2002)
–La Guerre d’Algérie, 1954-2004 : La fin de l’amnésie Sous la direction de Mohamed Harbi et Benjamin Stora (Paris, Robert Laffont, 2004)
–L’Afrique du Nord en marche. Algérie, Tunisie, Maroc, 1880-1952 de Charles André Julien (Rééd., Paris, Omnibus)
Voir :
–Les Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945, un film de Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois (Doc., Fr/Alg, 1995 ; Diff. : 10 mai 1995 sur Arte)
Aucune
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