Après les Scènes des massacres de Scio, la campagne de restauration des œuvres d’Eugène Delacroix s’est poursuivie en 2021 avec les Femmes d’Alger dans leur appartement. "Si la couche picturale du tableau est restée en bon état, peut on lire sur le site du musée du Louvre, son appréciation visuelle s’était dégradée depuis plusieurs décennies en raison des nombreuses couches de vernis oxydés qui le recouvraient. [...] On perdait de vue la virtuosité coloriste qui avait fait des Femmes d’Alger un modèle pour la génération des peintres impressionnistes et néo-impressionnistes.
Jusqu’au 10 janvier 2019, au Metropolitan Museum de New York, l’exposition Delacroix présentait la riche variété de thèmes abordés par l’artiste au cours de plus de quatre décennies d’activité. Parmi plus de 150 peintures, dessins, estampes et manuscrits, dont beaucoup n’ont jamais été montrés aux États-Unis, on pouvait y voir des peintures emblématiques comme "La Grèce sur les ruines de Missolonghi" (1826), "Les Femmes d’Alger dans leur appartement" (1834) et "Médée furieuse ou Médée sur le point de tuer ses enfants" (1838).
Première grande rétrospective à Paris consacrée à Delacroix (1798-1863) depuis le centenaire de sa mort, en partenariat avec le Metropolitan Museum of Art de New York, l’exposition du Musée du Louvre présentait plus de 180 œuvres retraçant l’ensemble de la carrière artistique du maître, "des grands coups d’éclat qui firent la célébrité du jeune artiste aux Salons des années 1820, jusqu’aux dernières compositions religieuses ou paysagées, peu connues et mystérieuses".
Femmes d’Alger dans leur appartement
Exposé au Salon de 1834 et aussitôt acquis par Louis-Philippe, entré au musée du Louvre en 1874, Femmes d’Alger dans leur appartement d’Eugène Delacroix a suscité nombre d’opinions admiratives de Renoir, "il n’y a pas de plus beau tableau au monde" ; de Cézanne, "ces roses pâles et ces coussins brodés, cette babouche, toute cette limpidité, je ne sais pas moi, vous entrent dans l’œil comme un verre de vin dans le gosier, et on en est tout de suite ivre" et de Théophile Gautier, "les Femmes d’Alger ne le cèdent, pour la finesse et le clair-obscur, à aucune production vénitienne".
Il y eut également Charles Baudelaire qui voyait dans "ce petit poème d’intérieur, plein de repos et de silence, encombré de riches étoffes et de brimborions de toilette," un "je ne sais quel haut parfum de mauvais lieu qui nous guide assez vite vers les limbes insondés de la tristesse", et Victor Hugo, qui estimait que ces "Femmes d’Alger, cette "orientale" étincelante de lumière et de couleur, sont le type même de laideur exquise propre aux créatures féminines de Delacroix".
Près d’un siècle et demi plus tard, l’écrivaine algérienne Assia Djebar faisait remarquer que "si le tableau de Delacroix inconsciemment fascine, ce n’est pas en fait pour cet Orient superficiel qu’il propose, dans une pénombre de luxe et de silence, mais parce que, nous mettant devant ces femmes en position de regard, il nous rappelle qu’ordinairement nous n’en avons pas le droit. Ce tableau lui-même est un regard volé". Un peu plus loin, Assia Djebar prenait soin d’ajouter : "Ce regard-là, longtemps on a cru qu’il était volé parce qu’il était celui de l’étranger, hors du harem et de la cité. Depuis quelques décennies -au fur et à mesure que triomphe ça et là chaque nationalisme-, on peut se rendre compte qu’à l’intérieur de cet Orient livré à lui-même, l’image de la femme n’est pas perçue autrement : par le père, par l’époux et, d’une façon plus trouble, par le frère et le fils". in Femmes d’Alger dans leur appartement (Editions des Femmes, 1980 et Rééd. ; Albin Michel, 2002 ; LGF - Livre de Poche, 2004)
Rachid Boudjedra estime pour sa part que Delacroix "portait sur cette réalité algérienne un regard de pacotille et de bimbeloterie. Nous sommes en 1834. Le canon tonne et Alger est à feu et à sang. L’intimité de ce gynécée, même si le tableau est -en soi- d’une très belle facture, a quelque chose de gênant et de faux". in Peindre l’Orient (Zulma, 1996).
Durant l’hiver 1954, alors que débute la guerre d’Algérie, Picasso revisitera ce tableau de Delacroix, dont il tirera quinze toiles et deux lithographies portant toutes le titre de Femmes d’Alger.
Près de deux siècles après son exposition au salon de 1834 à Paris, "Femmes d’Alger dans leur appartement" de Delacroix continue d’être abondamment revisité, interrogé et commenté. En 2008, Malika Dorbani-Bouabdellah a publié une monographie consacrée au célèbre tableau. En compagnie de l’historienne de l’art, ancienne conservatrice du musée national de Beaux-Arts d’Alger et collaboratrice scientifique au département des peintures du musée du Louvre à Paris, la première rencontre "Passeurs des deux rives" à l’Institut français d’Alger (mars 2013) a été l’occasion de revenir sur le contexte de la brève escale de Delacroix en juin 1832 à Alger, l’itinéraire de l’artiste dans la ville, le mystère qui entoure sa visite d’un harem, la longue élaboration du tableau en atelier, sa composition, sa place dans la formation et le cheminement de l’artiste et les nouvelles perspectives qu’il ouvre "pour son auteur et pour l’histoire de l’art". [Rencontre organisée en partenariat avec algeriades.com]
– 17 September 2018 - 6 January 2019, Delacroix, New York / Metropolitan Museum – 29 mars - 23 juillet 2018, Eugène Delacroix (1798-1863), Paris / Musée du Louvre – 14 mars 2013, "Passeurs des deux rives" : Delacroix et les "Femmes d’Alger", par Malika Dorbani-Bouabdellah, historienne de l’art, ancienne conservatrice du musée national de Beaux-Arts d’Alger, collaboratrice scientifique du musée du Louvre, Modération : Mustapha Laribi, journaliste, Alger / Institut français
* En partenariat avec algeriades.com
– Maurice Arama, Delacroix, Un voyage initiatique : Maroc, Andalousie, Algérie
(Paris, Non Lieu, 2006)
– Maurice Arama, Eugène Delacroix au Maroc : Les heures juives
(Paris, Non Lieu, 2012)
– Tahar Ben Jelloun, Lettre à Delacroix
(Paris, Gallimard, 2010)
– Eugène Delacroix, Souvenirs d’un voyage dans le Maroc
(Paris, Gallimard, 1999)
– Eugène Delacroix, Journal 1822-1863 (2 vol.)
(Paris, Plon, 1996)
– Eugène Delacroix, Écrits sur l’Art
(Paris/Biarritz, Séguier, 1988)
– Delacroix, Voyage au Maroc, Aquarelles, Texte d’Alain Daguerre de Hureaux (Paris, Bibliothèque de l’Image, 2004)
–Lettres d’Eugène Delacroix, 1815-1863, Recueillies et publiée par M. Philippe Burty
(Paris, A. Quantin, 1877)
– Malika Dorbani-Bouabdellah, Eugène Delacroix. Femmes d’Alger dans leur appartement
(Paris, Musée du Louvre/Somogy, 2008)
– Guy Dumur, Delacroix et le Maroc (Paris, Herscher, 1989)
– Henri Gourdin, Eugène Delacroix. Biographie
(Les Éditions de Paris, 1998)
– Michel Hilaire, Arlette Serullaz, De Delacroix à Renoir l’Algérie des peintres
(Paris, IMA /Hazan, 2003)
– Barthélémy Jobert, Delacroix
(Paris, Gallimard, 1997)
– Lee Johnson, The painting of Delacroix a critical catalogue
(Oxford, Clarendon Press, 1981-1989)
– Régis Poulet, L’Orient : généalogie d’une illusion
(Paris, Presses universitaires du Septentrion, 2002)
– Eugène Delacroix, Souvenirs d’un voyage dans le Maroc, 1832
(Paris, Gallimard, 1999)
– Edward W. Saïd, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident
(Paris, Le Seuil, 1997)
– Arlette Serullaz, Delacroix
(Paris, Flammarion, 1998)
– Maurice Serullaz, Ariette Serullaz et Lee Jonson, Delacroix : Voyage au Maroc
(Paris, Flammarion, 1994, 2001)
– Maurice Serullaz, Delacroix
(Paris, Nathan, 1989)
– Maurice Serullaz, Mémorial de l’exposition Eugène Delacroix
(Paris, E.M.N, 1963)
– Lynne Thornton, Les Orientalistes / Peintres voyageurs (Paris, A.C.R. Éditions, 1983, 2001)
– Patrick Vauday, La décolonisation du tableau : Art et politique au XIXe siècle : Delacroix, Gauguin, Monet
(Paris, Seuil, 2006)
–Eugène Delacroix (1798-1863)
Catalogue de l’exposition du Centenaire à Paris, Ministère des Affaires culturelles, 1963
–Couleurs du Maroc, Delacroix et les Arts décoratifs marocains
Catalogue de l’exposition du musée des Arts décoratifs de Bordeaux, 2002
Aucune
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