Parce que c’est une femme s’ouvre sur un entretien inédit avec l’écrivain, réalisé en 1972 et censuré en raison de ses prises de position sur le statut des femmes, la question des langues et l’écriture de l’histoire en Algérie. Montrant "à quel point la femme a pu être libre dans le passé", Kateb Yacine s’indignait de ce que "la liberté pour nous est au passé au lieu d’être à l’avenir". Le livre réunit en outre trois pièces de son théâtre de la libération des peuples qui éclairent des figures de femmes.
La première, la Kahina ou Dihya, fut une fameuse guerrière du VIIe siècle. A la tête des tribus berbères (Imazighen) et d’un vaste territoire, elle a organisé la résistance contre les armées arabes en dévastant villes, villages et cultures, avant d’être défaite.
Habile négociatrice de paix au XIIIe siècle, Saout ennissa (litt., la voix des femmes) est la mère de Yaghmoracen, le fondateur du royaume des Zianides, qui a libéré le Maghreb central de la tutelle des Almohades. Saout ennissa met en scène un épisode essentiel de l’émergence de l’Algérie, celui du second et interminable siège de Tlemcen (1299-1307), mené depuis la cité voisine de Mansourah par la dynastie des Mérinides arrivés de Fès. La pièce se déploie autour de la légende de Aïcha, qui a engraissé un veau en pleine famine pour tromper l’adversaire, et surtout de Saout ennissa qui, grâce à sa sagesse et à sa lucidité, a négocié elle-même la paix.
Soucieux de "faire entendre aux Algériens leur histoire" au moyen du théâtre, Kateb veut aussi leur faire découvrir des expériences d’autres peuples "qui relativisent la "fatalité" de leur histoire, écrit Zebeida Chergui, créent une communauté solidaire et brisent l’isolement de leur pays". Avec Louise Michel et la Nouvelle Calédonie, Kateb fait revivre la "Vierge rouge" de la Commune de Paris en 1871.
Née l’année de la conquête française de l’Algérie, Louise Michel (1830-1905) a été condamnée à la déportation au bagne en Nouvelle Calédonie où elle prendra le parti des révoltés canaques et où elle fera la rencontre d’un autre fameux déporté, Boumezrag El Mokrani, le dernier chef de l’insurrection de 1871 en Kabylie.
Déjà "avec Nedjma, confiait Kateb Yacine dans l’entretien accordé à El Hassar Benali, quand j’ai voulu camper le personnage, je me suis rendu compte à quel point nous ignorons pratiquement tout de nos femmes, de nos propres sœurs. Et avec la mère, la rupture a lieu dès l’enfance. Ce monde des femmes reste une grande inconnue et il est temps de le mettre en lumière. Évidemment, la première chose est l’histoire. Elle, l’histoire, remonte au passé. Elle éclaire déjà une grande partie du vécu, on arrive à l’actualité à travers elle, et là, on peut y voir un peu plus clair".
Parce que c’est une femme
de Kateb Yacine
Entretien inédit réalisé par El Hassar Benali
Préface de Zebeïda Chergui
Suivi de La Kahina ou Dihya, Saout ennissa/La Voix des femmes, Louise Michel et la Nouvelle-Calédonie
(Paris, Éditions des femmes, 2004)