Ancien directeur du journal Alger républicain passé dans la clandestinité, Henri Alleg est finalement arrêté le 12 juin 1957 alors qu’il sonne chez le mathématicien et militant communiste Maurice Audin lui-même arrêté la veille. Détenu au secret dans un bâtiment d’El Biar à Alger, sous l’autorité des parachutistes de la 10è D. P. du général Massu, il est torturé pendant un mois. Il y croise une dernière fois Maurice Audin qui ne survivra pas à son arrestation. La disparition de ce dernier a été maquillée en évasion durant un transfert et son corps n’a jamais été retrouvé. C’est également dans ces locaux que sera précipité dans le vide l’avocat Ali Boumendjel. Dehors, compagnes et proches s’emploient à les trouver et à organiser leur défense.
Forte des "pouvoirs spéciaux" qui lui ont été accordés par le gouvernement Guy Mollet, c’est-à-dire l’ensemble des pouvoirs civils et militaires, l’armée procède à des arrestations massives, la torture est systématiquement appliquée aux "suspects" (coups, baignoire, électricité, viols ...), des milliers de personnes disparaissent, c’est la Bataille d’Alger.
Le film de Laurent Heynemann rappelle qu’il s’est trouvé des voix pour récuser ces méthodes interdites par les lois de la guerre. Ce fut le cas avec Paul Teitgen, le secrétaire général de la police à Alger. Ancien résistant et déporté, qui a subi la torture entre les mains de la Gestapo, il a ordonné une assignation à résidence pour Alleg et Audin afin d’obliger les autorités militaires à les présenter à la justice. Pour l’histoire, Paul Teitgen a fini par démissionner, en septembre 1957, en réaction aux arrestations et aux détentions arbitraires, aux actes de tortures sur les prisonniers et aux exécutions extra judiciaires.
Adapté de l’ouvrage homonyme d’Henri Alleg, La Question de Laurent Heynemann ne se limite pas au mois de séquestration du journaliste militant dans le bâtiment d’El Biar. Car Alleg sera ensuite transféré dans le "centre d’hébergement" de Lodi, avant qu’à l’issue d’une campagne de presse il ne soit présenté à un magistrat instructeur et incarcéré à la prison civile Barberousse à Alger.
De la prison, dont témoigne son livre Prisonnier de guerre (1961), Alleg dira le surpeuplement, la souffrance des condamnés à mort, de ceux qu’on emmène à la guillotine, les youyous du quartier des femmes relayés dans la Casbah toute proche lors des exécutions. C’est là que son avocat, enfin parvenu à Alger, obtient de lui rendre visite, lui fournit de quoi écrire et l’encourage à faire le récit minutieux de sa détention et des séances de torture. Publié en février 1958, La Question est rapidement saisi mais l’histoire s’accélère et le livre fera le tour du monde.
Après trois ans de détention préventive, une parodie de procès le condamne à 10 ans d’emprisonnement et sa plainte contre ses tortionnaires restera sans suite. Transféré en octobre 1961 à l’hôpital de Rennes, il s’évadera peu de temps après. Quelques mois plus tard, la loi d’amnistie allait rendre "impossible tout recours et inutile toute plainte". Pour la justice, rappelle le film, Maurice Audin n’est pas mort et Henri Alleg n’a jamais été torturé.
La Question de Laurent Heynemann est dédié à la mémoire de Maurice Audin.
C’est en 1968 en classe de philosophie que Laurent Heynemann découvre La Question d’Henri Alleg. Pour le cinéaste, dont l’enfance a été marquée par la guerre d’Algérie, "ce livre définit l’héroïsme. Il y avait un héros quotidien dont on sentait qu’il était petit, faible avec une force de conviction qui le faisait tenir". (L’Humanité, 19 septembre 2001)
À cause de certaines scènes jugées attentatoires à l’image de l’armée française en Algérie, le film fut interdit aux moins de 16 ans par Michel d’Ornano, alors ministre de la Culture. Sa sortie en 1977 provoqua un tel tumulte qu’il fut rapidement retiré des salles.
A l’époque, 47 copies avaient été tirées du négatif original mais on avait omis, chose plutôt rare, la création d’un internégatif rendant impossible tout tirage de copies supplémentaire. La Question a ainsi été le premier à bénéficier d’un travail de restauration du négatif original, entrepris par les services du Centre national de la Cinématographie, dans la perspective de sa reprise en salles en 2001.
Interrogé à cette occasion, en plein débat sur l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie, Laurent Heynemann déclarait, "je suis content, car mes enfants vont pouvoir voir ce versant de cette histoire plutôt que la vérité expliquée par Aussaresses".
On doit également à Laurent Heynemann, Meurtres pour mémoire, un téléfilm inspiré du roman homonyme de Didier Daeninckx, qui revient sur la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris.
– Diff. TV : 28 février 2012 à 2h sur France 2
– 3 mai 2005 à 23h sur TPS Cinextreme
– 25 avril 2005 à 20h45 sur TPS Cinéculte
– 27 juin 2003 à 1h sur Ciné Succès
– 25 octobre 2001 à 21h sur Histoire
La Question (The Question | السؤال)
un film de Laurent Heynemann
d’après l’oeuvre d’Henri Alleg
(108 min., Fr, 1976)
Avec Jacques Denis, Nicole Garcia, Jean-Pierre Sentier
– Sortie : 4 mai 1977
– Nouvelle sortie en France : 19 septembre 2001
– VHS / DVD (Doriane Films, 2003)
Laurent Heynemann dossier réalisé par Jacques Zimmer et Chantal de Béchade, La Revue du Cinéma (n° 390, Paris, janvier 1984)
Aucune
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