Marc Riboud est décédé le 30 août 2016 à Paris, des suites d’une longue maladie. Il était âgé de 93 ans. Né en 1923 à Lyon, Marc Riboud a fait des études d’ingénieur avant de se lancer dans la photographie. Sa première image publiée par le magazine Life en 1953, son fameux peintre de la tour Eiffel "au faux air de Chaplin", lui vaut d’entrer à l’agence Magnum, fondée par Henri Cartier-Bresson et Robert Capa, avec laquelle il travaillera jusqu’en 1979.
Durant l’été 2003, le Musée de la mer à Cannes invitait à découvrir "une sélection d’images inédites sur l’Algérie" de Marc Riboud qui a donné au photojournalisme quelques unes de ses icônes. Plus de cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, ces photographies sont enfin accessibles sous la forme d’un album particulièrement précieux des journées d’ébullition populaire de l’été 1962 (Ed. Le Bec en l’air, 2009). Le livre s’ouvre sur la semaine des barricades des partisans de l’Algérie française (janvier 1960), en soutien au général Massu, séquence qui correspond au premier séjour de Marc Riboud en Algérie. "La première fois était très importante, à cause de l’O.A.S. et surtout des barricades, confiait-il dans un entretien au quotidien El Watan (4 juin 2009). J’ai vu les titres des journaux et j’ai compris que c’était important ce qui se passait en Algérie." Membre de la prestigieuse agence Magnum, le photographe est de retour en 1962 durant l’été des manifestations de la libération. L’indépendance de l’Algérie pour moi était le temps des choix, des choix politiques. [...] C’est des réflexes, c’est instinctif les choix. Le regard est curieux. Il faut bien voir sans regarder parce que le regard dérange. Et là, ajoute-t-il, j’ai eu un coup de cœur."
Le voilà donc comme l’un des rares photographes, souvent même le seul sur le terrain, à armer son boitier et déclencher pour fixer les foules des manifestants, d’hommes surtout, mais aussi d’enfants mimant les gestes de la guerre et de femmes manifestant leur joie, se déplaçant en masse pour voter ou faire don de leurs bijoux au profit de la jeune république désargentée. Beaucoup de drapeaux et de cortèges défilent devant le viseur de Marc Riboud où l’on aperçoit Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider, Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf, Tayeb Boulahrouf et Mohamed Seddik Benyahia, sans oublier Jacques Chevallier votant oui au référendum d’autodétermination, avec en arrière plan les dégâts des plasticages de l’O.A.S., les files d’Européens d’Algérie sur le départ ou de Gaulle sur un écran de télévision.
Et puis il y a cette fameuse séquence où, se trouvant sur une route de montagne en Kabylie, trois semaines avant la proclamation de l’indépendance, il croise plusieurs milliers de personnes rassemblées et fait la rencontre de Krim Belkacem. "J’ai vu alors tout ce que vous avez vu dans les photos, qui sont parmi mes meilleures photos, et il n’y avait pas un photographe." Il y avait là notamment ce couple de l’O.A.S. arrêté avec des explosifs dans la malle de sa voiture. Mais contre toute attente et alors que tout laissait présager le pire, à l’issue de longues minutes de délibérations sous haute tension, le couple est finalement relâché.
Durant ces journées de l’été 62, le photographe, qui a rejoint les maquis du Vercors en 1943-44, dit avoir retrouvé "l’atmosphère de maquis [...] connue dans la résistance, des mitraillettes contre les murs, des ordres qui passaient...". Sitôt rentré à Paris, il va directement au labo développer ses films. "J’avais passé la nuit pour attendre de voir les contacts, se souvient-il. C’est terriblement important, c’est ce qui m’a permis d’avoir un style de photo". Les photos d’Algérie de Marc Riboud, paraîtront sur six pages dans l’hebdomadaire Paris Match.
Tout ce passage de témoin d’un monde à l’autre, avec son air de fin d’époque pour certains et de folles réjouissances pour les autres, ses visages joyeux et graves, ses murs chargés de slogans, tout cela aurait pu disparaître, sitôt les clameurs de la liesse populaire retombées, devenir poussière de la mémoire sans laisser de traces. Mais voilà, le photographe était là pour en retenir en images l’ineffable éclat.
L’ouvrage se clôt sur des clichés du Festival culturel panafricain de juillet 1969.
Dans sa préface, Jean Daniel parle des photos de Marc Riboud comme d’un album de famille, à partir de quoi "chacun peut reconstituer son monde". "Par inclination personnelle, note Malek Alloula dans sa contribution, Marc Riboud n’est pas tellement à l’aise sous les habits du photographe de presse et ignore tout de la "passion de l’actualité"". "Les photographes de presse avec leur jargon et leurs plaisanteries formaient une confrérie dont je me sentais exclu, écrira Marc Riboud, jusqu’à ce que, lors de l’indépendance de l’Algérie, je partage avec eux cette passion de l’actualité. Les courses folles pour bien se placer, l’instinct qui nous porte toujours en tête d’un cortège pour le précéder et non le suivre, pour faire face aux visages, aux regards toujours plus près". Seloua Luste-Boulbina, qui signe l’autre texte de l’ouvrage, rappelle si besoin est que, excepté au Nord-Viêt Nam, sous les bombardements américains, il est un photographe de paix....
Ironie de l’histoire, l’agence Magnum que Marc Riboud a rejoint en 1955 n’a pratiquement pas couvert la guerre d’Algérie. Figure fondatrice de l’agence avec Robert Capa et mentor de Marc Riboud, Henri Cartier-Bresson s’en est ouvert à Abderrahmane Djelfaoui lors des rencontres d’Arles en 1997. "Je voulais y aller et photographier, mais Roger Thérond de Match (que je connaissais et qui a utilisé tous les reportages de Magnum que nous faisions dans le monde) m’a dit : "Si tu vas là-bas, tu seras entre les mains de la police militaire et tu ne pourras rien faire ; abstiens-toi ! Voilà... Nous avons traîné nos guêtres dans les différents pays du monde, mais nous n’avons rien sur la guerre d’Algérie ! [...] Un de nos amis photographes, un Hollandais (Kryn Taconis, ndlr), a quand même réussi à y aller et à faire de très bonnes photos, mais Magnum n’a pas pu encore les diffuser ! Alors, concernant l’Algérie, il y a un trou, pas dans la mémoire mais dans les archives. (Algérie, Littérature/Action, Entretien avec A. Djelfaoui, par Christiane Chaulet-Achour, Alger, septembre 1997)
En marge du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie et l’indépendance du pays, deux ouvrages ont été publiés avec des photographies de Marc Riboud. Composé de 165 photos plein cadre en noir et blanc, Choses vues couvre quelques soixante années de travail du photographe. A la suite d’Algérie / Indépendance de Marc Riboud (2009) et la réédition en poche d’Un aller pour Alger de Raymond Depardon (2012), Algérie. De la guerre à l’indépendance, 1957-1962 rassemble des images prises par les photographes de l’agence Magnum comme Riboud et Depardon, mais aussi Philip Jones Griffiths, Sergio Larrain, Erich Lessing, Kryn Taconis et Nicolas Tikhomiroff.
– 24 février 2023 - 31 décembre 2023, "Marc Riboud, 100 photographies pour 100 ans", Lyon / Musée des Confluences
– 28 février - 13 juillet 2019, Photographier l’Algérie, Tourcoing / Ima
– 15 mars - 2 septembre 2018, "Une Guerre sans nom 1962. Rivesaltes. 1964", photographies de Marc Riboud, Raymond Depardon, Pierre Boulat, Pierre Domenech et Jacques Hors (médecin, appelé en Algérie), dir. éditoriale : Jean-Jacques Jordi, Salses le château / Mémorial du Camp de Rivesaltes
– 15 mars - 13 mai 2018, "Une guerre sans nom, 1954-1962 Algérie", photographies de Marc Riboud, Raymond Depardon, Pierre Boulat, Pierre Domenech et Jacques Hors (médecin, appelé en Algérie), dir. éditoriale : Jean-Jacques Jordi, Perpignan / Centre international de photojournalisme
– 4 juillet - 27 septembre 2015, Marc Riboud : "I comme image", Toulon / Maison de la photographie
– 4 - 19 mars 2013, "Algérie". Photographies de Marc Riboud, Maison des Beaumontois, 21, rue René Brut, 63110 Beaumont, Tel. : 04 73 98 35 67
– 2 octobre - 30 novembre 2012, "Algérie" - Photographies de Marc Riboud, Toulon / Théâtre Liberté
– 20 juin - 8 septembre 2012, "Algerie 1962" : Marc Riboud, Kryn Taconis, Nicolas Tikhomiroff, Paris / Magnum Gallery, 13 rue de l’Abbaye, Paris 6e
– 17 mai - 3 juin 2012, Projection des photographies de l’indépendance de l’Algérie par Marc Riboud, Sète / Festival Images Singulières
– 6 - 24 mai 2012, Marc Riboud : "I comme Image, un abécédaire photographique", Bischheim / Cour des Boecklin
– 15 octobre - 17 décembre 2011, Marc Riboud, rétrospective, Thonon / Espace Maurice Novarina / Galerie de L’Etrave
– 6 octobre - 3 novembre 2011, "Magnum Photos - RSF, 101 photos pour la liberté", Vernissage en présence de Patrick Zachmann, Photographe de l’Agence Magnum, Alger / Centre Culturel Français
– September 24 - October 9, 2011, "The Instinctive Moment" : Marc Riboud’s retrospective, Xiamen / China Jimei International Photographic Center
– 3 September 2011 - 8 January 2012, "Marc Riboud : 50 years of photography", Reykjavík Museum of Photography
– 2 August - 11 October 2011, Marc Riboud, rétrospective, Brussels / Young Gallery
– 28 outubro - 5 dezembro, 2010, "Marc Riboud : retrospectiva", Rio de Janeiro / Centro Cultural da Justiça Federal
– 5 de novembro de 2010 - 28 de fevereiro de 2011, "Marc Riboud : retrospectiva", Rio de Janeiro / Casa do Saber
– April 23 - June 6, 2010, Rétrospective Marc Riboud : "The instinctive moment" (L’Instinct de l’instant), Beijing / Art Museum of the Central Academy of Fine Arts
– March 12 - May 1, 2010, "Marc Riboud Photographs", Berkeley / Graduate School of Journalism
– 10 de março - 25 de abril 2010, Retrospectiva Marc Riboud, Universidade de Fortaleza (Unifor) / Espaço Cultural
– March 6 - April 2, 2010, Rétrospective Marc Riboud : "The instinctive moment" (L’Instinct de l’instant), Shanghai Art Museum, 325 Nanjing West Road, Shanghai
– 20 novembre 2009 - 27 février 2010, "United Colors", exposition de photographies, Paris / Polka Galerie, Cour de Venise, 12, rue Saint Gilles, Paris 3e
– 23 janvier - 18 avril 2004, "Photographier la guerre d’Algérie", Paris / Hôtel de Sully, 62, rue Saint-Antoine, Paris 4è, Tel. : 01 42 74 47 75
– 28 juin - 28 septembre 2003, "Marc Riboud en Algérie", Cannes / Musée de la mer, Ile Sainte-Marguerite, Tel. : +33 (0)4 93 38 55 26
Marc Riboud et l’Algérie
Algérie. De la guerre à l’indépendance, 1957-1962
Texte de Jean-Jacques Jordi/Photos Magnum
Photographies de Raymond Depardon, Philip Jones Griffiths, Sergio Larrain, Erich Lessing, Marc Riboud, Kryn Taconis et Nicolas Tikhomiroff
(Rennes, Ouest-France, 2012)
– Algérie / Indépendance
Photographies de Marc Riboud
Préface de Jean Daniel
Textes de Malek Alloula et Seloua Luste-Boulbina
(Manosque, Le Bec en l’air, 2009)
Et aussi :
Marc Riboud. Paroles d’un taciturne
Entretiens avec Bertrand Eveno
(Paris, Delpire, 2012)
Choses vues
Photographies de Marc Riboud
Texte d’André Velter
(Paris, Imprimerie nationale éditions, 2012)
• I comme Image
de Marc Riboud et Catherine Chaine
(Paris, Gallimard-Jeunesse/Les Trois Ourses, 2010)
• Marc Riboud, 50 ans de photographie
par Marc Riboud
Préface de Robert Delpire
Textes de Yannick Cojean et Marc Riboud
(Nlle édition, Flammarion, 2004)
• Marc Riboud
par Marc Riboud
(Paris, CNP, Photopoche, n° 37, juin 1999)
• Marc Riboud
Rétrospective au Musée d’art moderne de la ville de Paris
(Paris, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1985)