Hors la loi (Outside the Law) de Rachid Bouchareb, qui représentait l’Algérie, figurait parmi les cinq finalistes prétendant à l’Oscar 2011 du meilleur film en langue étrangère. Il était en compétition avec Biutiful d’Alejandro González Iñárritu (Mexique), In a Better World de Susanne Bier (Danemark), Incendies de Denis Villeneuve (Canada), d’après la pièce de Wajdi Mouawad, et Dogtooth (Canine) de Yorgos Lantimos (Grèce). Les membres de l’Académie ont finalement choisi de récompenser In a Better World, de la Danoise Susanne Bier.
C’est la troisième nomination pour Rachid Bouchareb après Poussières de vie en 1995 et Indigènes en 2006. L’Algérie a, quant à elle, été nominée à quatre reprises et remporté l’Oscar du meilleur film étranger en 1969 avec Z de Constantin Costa-Gavras, une co-production franco-algérienne tournée à Alger.
Co-production franco-algéro-belgo-tunisienne, à hauteur respectivement de 59, 21, 10 et 10%, Hors la loi de Rachid Bouchareb a été projeté en avant-première mondiale, en compétition, lors du 63è Festival de Cannes où il représentait l’Algérie. Avant même sa projection, le député français Lionnel Luca (UMP, Alpes-Maritimes) a mené une charge contre le film qu’il jugeait "négatif et négationniste" dénonçant une "falsification" de l’histoire dans son évocation du massacre du 8 mai 45 à Sétif. Le député se fondait sur un rapport du chef du Service historique de la Défense, qui a passé au crible le scénario. Dans un rapport rendu en septembre précédent, celui-ci relevait nombre d’"erreurs et anachronismes" avant de noter, à propos des événements de Sétif, que "le réalisateur veut faire croire au spectateur que le 8 mai 1945 à Sétif des musulmans ont été massacrés aveuglément par des Européens, or, ce jour-là, c’est le contraire qui s’est produit (...) cette version des faits est admise par tous les historiens (...) c’est en réaction au massacre d’Européens du 8, que les Européens ont agi contre des Musulmans". Lionnel Luca s’insurgeait enfin contre le fait que Rachid Bouchareb présente les sympathisants européens du FLN, les fameux "porteurs de valise", comme des "héros", alors que le député ne voit en eux que des "traîtres".
En prévision de la projection du film, simultanément à Cannes et Alger, un collectif baptisé "Vérité Histoire - Cannes 2010" avait appelé, sur un site Internet proche de l’extrême droite, à manifester à Cannes et à "pourrir" le Festival, pendant qu’un élu local de Cannes, André Mayet (président de la Maison des rapatriés), avait appelé à interdire la projection du film et à "l’occupation des marches du Palais". Le 21 mai, jour de la projection de Hors la loi, alors même qu’une cérémonie à la mémoire de "toutes les victimes de la guerre d’Algérie" avait été organisée en présence du sous-préfet Claude Serra, des rapatriés d’Algérie, harkis, soldats médaillés, élus locaux arborant l’écharpe tricolore, députés, militants du Front national, encadrés par des CRS, ont manifesté contre le film "parce qu’il ne montre pas les Européens massacrés à Sétif par les Algériens".
Dans une déclaration faite à l’AFP (2/05) et tout en rappelant que la polémique ne portait jusque-là que sur le scénario et non l’œuvre achevée, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, estimait que "si la polémique reste à hauteur du débat d’idées, nul ne doit s’en plaindre, ni ceux qui ont produit le film, ni ceux qui s’en font les adversaires. Dans les deux cas, que la liberté d’expression s’exerce pleinement, c’est tant mieux". Mais "pour s’affronter et s’invectiver, non", conclut Thierry Frémaux qui ajoute que l’art "contribue aussi à visiter la grande et les petites histoires". Pour lui, "Cannes est là pour servir le cinéma et accueillir les débats qui vont avec".
Alors que la polémique ne faiblissait pas et que ses détracteurs n’avaient toujours pas vu le film, Rachid Bouchareb a fini par réagir en se défendant de vouloir faire œuvre d’historien. "Je le fais en cinéaste, avec ma sensibilité, sans obliger quiconque à la partager. Après les projections, il sera temps que le débat public se déroule". Il invite toutefois à ce que cela se fasse "dans un cadre pacifique et dans la sérénité du débat d’idées" tout en prenant le soin d’ajouter "franchement qui peut vraiment penser que la colonisation fut une chose positive ?"
Une semaine auparavant, plusieurs personnalités ont rendu public un appel sur le site du journal Le Monde (5/05). On peut y lire, sous la plume -notamment- de l’écrivain Didier Daeninckx, de l’auteur-réalisateur Guy Seligmann et des historiens Pascal Blanchard, Mohammed Harbi, Gilles Manceron, Gilbert Meynier, Gérard Noiriel, Jean-Pierre Peyroulou, Benjamin Stora et Sylvie Thénault, que le film de Rachid Bouchareb "est d’abord une œuvre libre qui ne saurait se réduire à une nationalité, ni à un message politique et encore moins à une vision officielle de l’histoire". Pour les signataires de l’appel, "la réaction de M. Luca - rejoint le 29 avril par le député UMP de Béziers Elie Aboud, président du groupe parlementaire d’études sur les rapatriés, qui n’admet pas "qu’on utilise de l’argent public pour insulter la République" - est révélatrice : des milieux nostalgiques de la colonisation continuent de chercher à faire obstacle à la liberté de la création et à la nécessaire reconnaissance du passé colonial de la France".
Dénonçant la campagne contre le film, Benjamin Stora a fait observer, dans un entretien accordé à l’AFP (7/05), que "trente ans après l’indépendance de l’Algérie, cette guerre était loin d’être finie "dans les têtes et dans les cœurs", faute d’avoir été suffisamment nommée, montrée, assumée dans et par une mémoire collective. Pour l’historien, la fin de l’Algérie française "n’a quasiment pas été représentée à l’écran comme la résultante de la volonté d’indépendance des Algériens. Elle a plutôt été vue comme le produit d’une trahison ou d’un abandon par les Français. Ainsi, des événements tels que les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en 1945 ne figurent pas dans le cinéma français, même de manière elliptique. C’est un véritable trou noir". Dans un entretien accordé au quotidien El Watan (5 mai), l’historien Gilles Manceron soutient pour sa part que "c’est la même idéologie de justification et de dénégation de la part de gens qui ne veulent pas voir les réalités de l’histoire, qui dénient le droit à la résistance qui s’était exercé contre la colonisation française".
Dans un entretien au Journal du Dimanche (2 mai), l’historien Pascal Blanchard s’interrogeait. "Que doit-on penser en effet quand quelqu’un dénonce une œuvre sans l’avoir vue, l’accuse de tous les maux, veut la faire interdire en la rendant illégitime ? On est dans la censure !" . L’historien rappelle au passage que l’histoire personnelle du député Lionnel Luca est liée à plus d’un titre à l’Algérie et qu’il est en outre engagé dans la création d’une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, prévue pour juin. En tout état de cause, Pascal Blanchard ajoute : "On verra à Cannes que Hors-la-loi est un film important. Il va étonner les jeunes générations. Il dérange certains mais ne plaira pas non plus au régime algérien".
Dans un entretien à l’hebdomadaire Le Point (15 mai), Laurent Weil, le chroniqueur cinéma de Canal Plus qui a également vu le film, avait déclaré : "Ce film ne suscite aucun sentiment de malaise. Il montre davantage les dissensions entre les mouvements politiques algériens que le ressentiment anticolonial. En aucun cas, ce film ne peut inspirer un sentiment antifrançais."
Tourné dans le prolongement d’Indigènes, Hors la loi s’ouvre sur la préparation d’un casse de la Banque Postale d’Alger en 1945. L’argent doit en principe servir à financer la lutte pour l’indépendance, mais tous les protagonistes ne semblent pas du même avis. Le film, qui s’attache au destin de trois frères chassés de leurs terres, revient en outre sur la sanglante répression du 8 mai 1945 dans l’est algérien, à l’heure même où la France en liesse célèbre l’armistice. Hors la loi a pour toile de fond la fin de la guerre d’Indochine avec la défaite française de Diên Bên Phu, la guerre d’indépendance des Algériens et la "Bataille de Paris" qui culmine avec les ratonnades du 17 octobre 1961, moins de six mois avant le cessez-le-feu en Algérie.
Côté casting, on retrouve Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila et Bernard Blancan, rejoints notamment par Chafia Boudraa, Ahmed Benaïssa, Larbi Zekal et Mourad Khen. Avec un budget de 20,5 M€, le tournage a débuté, fin juillet 2009, à Sétif en Algérie. Etalé sur cinq mois, il s’est déroulé, en grande partie, en studio en Tunisie. Pour le cinéaste, le projet de Hors la loi lorgne du côté d’Il était une fois en Amérique de Sergio Leone.
Produit par Tessalit Productions, Hors la loi a bénéficié d’une avance sur recettes du Centre National de la Cinématographie (CNC, France) et d’un pré achat de Canal +. Le film a été coproduit par France 2 Cinéma et France 3 Cinéma, Tassili Films (Algérie), le ministère de la Culture, l’Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel (AARC), l’Etablissement Public de Télévision (EPTV), le ministère des Moudjahidine (Algérie), Novak productions (Belgique) et Quinta Communications (Tunisie).
Selon les critères du CNC, le financement du film provient à 59 % de la France, à 21 % de l’Algérie, à 10 % de la Tunisie et à 10 % de la Belgique. Le devis du film atteint, au total, 20,55 millions d’euros. Il s’agit du quatrième devis français en 2009. Le CNC a fourni une aide sous la forme d’une avance sur recette de 650.000 euros. La commission de la diversité a apporté, quant à elle, 50.000 euros. (Photo, Hors la loi de Rachid Bouchareb)
– 5 janvier 2016 à 23 h 15 sur France 3
– 17 octobre 2013 à 20 h 45 sur ENTV (Algérie)
– Rediff. : 9 juin 2013 à 20h45 sur France 2
– 7 février 2013 à 20h45, 9/02 à 8h, 11/02 à 13h30 sur Ciné+ Premier
– 27 octobre 2012 à 16h10, 28/10 à 10h40, 29/10 à 20h45 sur Ciné+ Premier
– 1re diff. TV : 5 novembre 2011 à 20h50, 9/11 à 23h55, 21/11 à 0h, 24/11 à 15h55 sur Canal Plus, 9/11 à 13h30, 12/11 à 16h15, 18/11 à 23h45 Canal Plus Cinéma, 5/11 à 22h20, 6/11 à 20h50 sur Canal Plus Décalé
Hors la loi (خارج عن القانون | Outside the Law | Fuori legge | Fuera de la ley)
un film de Rachid Bouchareb
(137 min., Fr/Alg/Bel/Tun/Ita, 2010)
Avec Roschdy Zem, Sami Bouajila, Jamel Debbouze, Chafia Boudraa, Bernard Blancan,
Scénario de Rachid Bouchareb et Olivier Lorelle
Distribution : Studio Canal – Sortie France : 22 septembre 2010
– Sortie Algérie : 6 octobre
Aucune
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